Enfin cet article sur les Bacchantes ! Je sais que certains l’attendaient – Cependant, je ne sais pas s’il sera à la hauteur de vos espérances ! En parlant de déception j’ai d’ailleurs bien peur que vu la date je ne bouclerai pas à temps l’article sur la Psychanalyse dans la Création.
Trêve de bavardage, « Voici les Bacchantes, les cheveux pendant sur le dos; voici les légers satyres, avant coureurs du dieu; voici SILENE, le vieillard ivre…Cependant le dieu, sur son char, couronné de raisins, lâchait les rênes dorées aux tigres qui le traînaient. »

Quelques mots au sujet des livres :
Puisque je ne suis pas là pour m’étendre sur le sujet, je dirais que Les Bacchantes d’Euripide sont une pièce tout ce qu’il y a de plus classique. Elle n’en demeure pas moins très violente sous fond de religion : elle démontre le besoin que doit avoir l’humain de croire en ses Dieux.
Le Mythe de Bacchus de Nathalie Mahé est intéressant et concentré sur l’évolution et la perception du mythe au travers des siècles, beaucoup moins bien écrit que Dionysos et les Bacchantes de Huet-Brichard. Ses exemples sont parfaitement choisis, la bibliographie complète mais pas lourde, tout est très bien explicité, la langue est très agréable. Je vous le conseille et vous le reconseille.
J’ai bien peur que cet article soient plus centré sur Dionysos, ma bibliographie a peut-être été relativement mal choisie et peu poussée. Si les Bacchantes vous intéressent, n’hésitez surtout pas à me demander de vous faire passer les bibliographies des livres qui ont nourri cet articles.
« […]voici les Bacchantes, l’esprit égaré, allègres en leur frénésie, evohé ! évohé ! secouant la tête. Parmi elles, les unes agitaient les thyrses à la pointe recouverte, d’autres brandissaient les membres d’un taureau dépecé, d’autres pour ceintures avaient les orbes des serpents, d’autres célébraient les mystères cachés aux creux des cistes, mystères sourds au vain désir des profanes ; celles-là battaient, de leurs paumes dressées, les tympanons, ou, de disques de bronze, tiraient des tintements aigus ; au souffle de beaucoup, les cornes exhalaient leurs bourdonnements de timbre rauque, et barbare la flûte chantait son frisson ardent. «
Le mythe de Dionysos a traversé le temps, il est toujours intriguant étant resté ancré dans l’imaginaire collectif (figure encore utilisée en Poésie par exemple, un groupe de musique porte son nom). Au-delà des mythes le concernant directement, il semble faire de nombreuses apparitions dans différentes légendes. Ne serait-ce que dans la mythologie. Orphée, devenant pédéraste et continuant a vouer un culte à Eurydice ne prête pas attention aux femmes qui lui font la cour. Il est donc tué par ces jalouses. Jalouses qui sont apparentées aux Bacchantes puisque beaucoup font le rapprochement avec le fait que Bacchus soit lui-même jaloux du culte naissant voué à Orphée qui lui fait de l’ombre. De plus, la sauvagerie des jalouses rappellent les boucheries perpétrées par les Bacchantes que nous verrons. Orphée refuse la Ménade dans Orphée-roi, il vainc avec sa lyre, il refuse l’amour charnel, préfère l’amour sublimé avec le souvenir d’Eurydice. De même, on peut voir un signe de Dionysos en Marsyas qui défit Apolon. En effet, ces deux Dieux s’opposaient et se complétaient dans l’Antiquité, étant deux jeunes hommes beaux mais l’un dans l’excès et l’autre seulement dans la beauté. Apolon gagna le duel de beauté qui l’opposait à Marsyas, en conséquence ce dernier est écorché vif. Cela rappelle les rites dionysiaques et barbares, puisque c’est le sort réservé aux offrandes. Ainsi, Marsyas serait un reflet de Dionysos. Dionysos semble donc omniprésent dans la mythologie grecque, mais il a aussi laissé un marquage profond dans la mythologie chrétienne. De ce fait, Salomé, apportant la tête de Saint Jean-Baptiste sur un plateau, rappelle Agavé ramenant la tête décapitée de son fils. Agavé est une Bacchante, elle a souffert de la folie dionysiaque, on peut donc faire le rapprochement avec Salomé, qui procède de manière semblable. Pour en finir avec le christianisme, nous allons parler du Christ, s’opposant à Dionysos. En effet, le Diable possède les attributs dionysiaques : cornes et sabots. Semblable à l’âne, Satan est l’héritier de Dionysos, de même, les Bacchantes ont des ceintures et autres bandeaux qui ne sont rien d’autres que des serpents. Or, y a-t-il meilleur attribut que le serpent pour représenter Satan ?
Ainsi, l’omniprésence de Bacchus dans les légendes, est elle le seul fait de pérennisation de Dionysos ? J’en doute, de nombreux critiques s’accordent à dire que la complexité du dieu -que nous allons développer tout au long de l’article- lui a permis cette immortalité. Sa nature est double : il est né deux fois. Accouché d’une mère puis d’un père, c’est à dire d’une humaine et d’un Dieu. Sa mère meurt d’avoir regardé Zeus, il y a donc là un lien à faire entre l’amour et la mort. C’est en regardant l’homme qu’elle aime qu’elle est aveuglée et meurt. Tout cela, dès sa naissance, annonce la complexité qu’aura le personnage de Dionysos. Il fascine toujours car il parait insaisissable. On peut aussi souligner pour des raisons beaucoup plus simple et artistiques : les rites associés au culte, qu’ils soit festifs, violents ou sensuels, sont parfaits pour la scène. En effet, le théâtre se nourrit d’effets sensationnels, le culte de Dionysos est parfait pour cela. La nature et la musique, largement représentées, permettent des tableaux appelant à la beauté de l’art et du paysage. Ainsi, les œuvres qui sont immortelles nous sont parvenues. Toujours représenté et passionnant, Dionysos est un Dieu insaisissable. Je commence peut-être par la fin, mais nous verrons sa qualité double. Il recoupe beaucoup de questionnements humains en les transcendant par sa divinité. Cet aspect insaisissable et assumé, tantôt bon, tantôt cruel (par exemple), a permis, plus que sa pérennisation à travers les siècles. A permis à son culte de toujours plus évoluer, correspondre et survivre aux époques.
*

Dionysos posséda d’abord un mythe guerrier. Très violent, le rituel consistait a démembrer et a écorcher les animaux en offrande. De plus, selon une variante très populaire, lui même fut dépecé par des Titans. Cette violence sanglante met le Dieu dans une position sauvage, sanguinaire, guerrière. Guerrière puisqu’il a pour réputation d’avoir conquis l’Inde. En effet, il a apporté la civilisation à l’Inde. Il est donc reconnu et adulé pour ce fait. Dionysos n’est pas un Dieu solitaire, il est toujours représenté avec des créatures, des Bacchantes… Qui s’apparentent à une armée. Il est fédérateur, constituant et ayant besoin d’un groupe qu’il dirige.
Or, c’est ici qu’on peut dévoiler l’aspect double de Dionysos. En effet, il est guerrier, en effet, il est sanguinaire, en effet, il possède une armée. Or, les soldats de cette armées ne sont rien d’autres que des femmes. Elles chassent, elles sont elles-mêmes guerrières, alors qu’à l’époque, une femme était toute entière absorbée par son métier à tisser (telle Pénélope en attendant Ulysse). Dionysos a donc prouvé être un conquérant, un civilisateur, mais son armée est constitué de femmes et d’ivrognes. C’est à dire des hystériques et de gens qui ne sont pas en possession de leurs moyens. Lui-même, apparait comme un personnage efféminé. Il accompli des miracles, il civilise, mais son armée ne ressemble à rien de connu. Et d’ailleurs, ne ressemble à rien tout court. Si Dionysos fait la guerre, même avec cette équipe là, et avec des attitudes aussi sanguinaires, c’est pour la paix. En effet, la fête et le vin célèbrent le fait d’être bon vivant, l’insouciance de l’enfance. C’est donc pour arrivé à cet état de légerté qu’il œuvre en guerroyant.
*
On commence alors à se rendre compte de la dualité qui règne en ce Dieu, celle-là même qui lui a permis de pérenniser. Peut-être que ça hargne nait du fait qu’il n’est pas considéré aisément comme Dieu. A l’image de Penthée qui refuse de le reconnaître ou a Orphée qui lui fait de l’ombre : ne pas reconnaître le Dieu en tant que tel mène à la mort. Et pas une mort douce. On retrouve ici le caractère violent – décapitation sauvage par deux fois.. Il est décrié car de son statut de Dieu il garde des pulsions humaines. Il assume les orgies et les beuveries, qui ne sont pas vraiment des valeurs reconnues par la pureté divine. Or, on peut reconnaître son père, Zeus, dans l’écoute de ses passions. En effet, on ne compte pas les enfants illégitimes de Zeus, de même que Dionysos est la progéniture du Dieu et d’une humaine. Pour cela, Héra le poursuit et le maudit, ce qui lui donne du fil à retordre à travers toute son histoire -depuis sa plus tendre jeunesse. Et, alors qu’on peut le penser demi-Dieu, il s’apparente à son père en écoutant ses passions et a gagné son statut divin en échappant à tous les pièges d’Héra, elle qui croyait l’anéantir. Dionysos, a évidement le panache des Dieu, il est très complexe comme nous l’avons dit et allons continuer de le démontrer. Mais il n’en demeure pas moins que lui-même ne change pas. Il est double mais fidèle à lui-même. Il n’a pas a évoluer ou a travailler sur soi au contraire des Hommes. Enfin, et c’est là, une des principales singularités de Bacchus. Il est le Dieu de tous, il ne fait aucune distinction. Son culte est célébré par tous sexes et classes sociales confondues. De tous ses nombreux mythes il ne fait jamais preuve de misogynie (pourtant la Grèce antique est connue pour être misogyne), et est représenté au côté des paysans comme des puissants. Ce qui, d’ailleurs, a contribué au dédain que Penthée a cher payé. Provoquant le Dieu et ses servantes, l’ignorant tout à fait, il a attribué la possession divine des femmes à un besoin sexuel. Une bonne grosse hystérie bien sale comme dirait notre ami Feud.
En parlant de cela, puisqu’il ne fait aucune distinction entre les humains, ce qui est une première et ce qui ne changera jamais au cours de son histoire. C’est qu’il bouleverse l’ordre établi. Dionysos est le messager de la liberté, de l’expression des passions des Hommes. De ce fait, le monde ordonné, riche et misogyne de Penthée voit d’un mauvais oeil cet homme déguisé qui dit que Dionysos est arrivé en ville. Penthée ne le pense pas Dieu, il le voit comme un signe de déchéance. Il bouleverse l’ordre établi : pour lui, le libertinage et l’amour ne sont pas antithétiques. L’érotisme n’est pas mal vu, cela est une part de l’amour. Dionysos incarne la nature (la vigne, les Bacchantes retournent à l’état sauvage, il amène la civilisation en Inde mais est plus à l’aise dans les bois). Or, comme il meurt et renait après avoir été démembré par les Titans, il est à l’image du cycle de la nature. La nature est représentante de la fécondité dans tout ce qu’elle a d’absolue. Or, le penchant de Dionysos qui sublime les plaisirs triviaux et son attachement à la nature (d’ailleurs le raisin est un fruit très sexualisé), fait de lui le Dieu de la fécondité. Or, Bacchus, pour féconder, assume l’acte d’amour qui est à l’origine de la fécondation. Pourtant il est mal vu d’assumer cela : c’est ainsi que Dionysos se bat pour que les Hommes prennent en charge leurs passions et rejettent toute inhibition. Contre le carcan social, il bouleverse l’ordre établi, ce cri désinvolte qui amène à se libérer et s’assumer soi-même quelque soit l’ordre établi est un élément indéniable qui a permis à Dionysos de survivre (et même d’exister) jusqu’ici et encore.
*

Et pour désinhiber les Hommes, vous cèderez bien à Bacchus qu’une des meilleure solution est encore le vin. Les hommes s’expriment bien plus facilement avec un coup dans le nez -si je puis m’exprimer ainsi. Ils se libèrent tout à fait des conventions, ce qui est dans la lignée de la volonté qu’à Dionysos a libérer les passions. Or, l’alcool rend les Hommes -notez que je mets toujours un « H » majuscule puisque le culte de Dionysos ne fait pas de distinction a quelque niveau que ce soit- ainsi, l’alcool rend les Hommes désinhibés mais aussi imprévisibles. Ils peuvent devenir furieux -la vieille Furor !- ou se comporter de manière lubrique. La violence et l’orgie dionysiaque découlerait du vin. Or, Bacchus contrôle l’effet du vin grâce à quelques plantes qu’il porte sur lui. Elles changent selon l’artiste le représentant, mais elles possèdent toutes la vertu de calmer les effets de l’alcool. (Pour les intéressés qui prépareraient une grosse soirée : je vous retrouverez le nom, restera plus qu’à acheter des gélules en pharmacie du même nom !). Ainsi, on peut s’interroger, puisque Dionysos encourage la consommation de vin mais qu’il le supporte, et que la violence et le sexe lui sont attribué, parlons-nous réellement des effets du vin ou de possession divine ? En effet, Bacchus, en plus de « faire dire l’avenir aux ignorants » -comme Apolon, tiens tiens, on le retrouve ! Peut prendre possession des Hommes. De ce fait, est-ce l’enthousiasme dû à l’alcool ou une transe ? Est-ce la révélation de soi attendue par Dionysos ou est-ce un rite ? Ici encore, on peut voir l’aspect double de ce Dieu, on ne sait pas vraiment où commence et où s’arrêtent ses grands pouvoirs.
Son culte ne s’exprime pas seulement dans l’orgie alcoolique, bien au contraire, son rite est musical. En effet, les Bacchantes sont souvent représentées pendant des danses sans normes, proches de la possessions. Mais puisqu’elles sont spontanées elles sont belles : c’est l’harmonie qui s’oppose au désordre. Cette insouciance de danser comme bon leur semble est une ode à la paix (XIXe), la représentation de la jeunesse. Les Bacchantes extériorisent leurs sentiments par leur danse, elles sont accompagnées de la musique. Dionysos est le Dieu de l’Art : Erato, la muse de l’érotisme, était une Ménade. Il possède également l’Art de la parole (ainsi il convainc/ensorcèle Penthée par exemple). Or ces danses et ces chants si innocents puisque cela appartient à la beauté, la spontanéité, l’insouciance… Étant des rites apportent la mort d’autrui. Il s’en suit des sacrifices. Bacchus redevient Dieu de la dualité : ode à la paix, à la vie, à la joie… Et amène la mort, s’apparentant aux Enfers. Il sublime la mort, la destruction, l’angoisse, par l’art et la beauté. Il demande aux Hommes d’assumer leur côté sombre : la part d’irrationnel qu’il y a en eux.
*
J’avais promis des Bacchantes, je vais donc appuyer ici sur le fait que Dionysos est énormément décrié, notamment par la représentation des femmes qui l’entourent. Trêve de plaisanteries, Dionysos est vu comme un alcoolique, un pleutre, un gros nigaud bien nul. Alors que, nous l’avons vu : il a conquit l’Inde, il décide de la vie et la mort de rois et autres personnages mythologiques. Mais Dionysos reste décrié pour être effémine : avant d’être un gros sur une barrique, c’était un jeune homme doux. Le même qui a levé une armée en Inde. Il a toujours été sous l’emblème féminin et le revendique : sorti de la cuisse de Zeus, et poursuivit par Héra, il est caché chez des nourrices. Elles l’élèvent, certains critiques les voient comme les premières Ménades. Ainsi, elles s’occupent de lui et le protègent d’Héra alors qu’il était trop jeune. Ainsi, ces femmes le nourrissent et le maintiennent en vie, il leur donne ici, un premier signe d’importance. Il montre la femme virile, rappelons l’armée de Bacchantes. La virilité dans le féminin n’est pas impossible, il les montre capable. Capable d’être capable de se défendre. Le travestissement de Penthée -qui le mènera à la mort- est une victoire. Dionysos le manipule (art de langage) ou le possède, et il accepte de se mêler aux femmes qu’il méprisait et qui vont le tuer sauvagement.
Or les femmes de Dionysos sont donc bien sauvage. Sont-elles animales ou masculines ? Elles ont beau eu aider Bacchus a civiliser l’Inde, elles restent recluses dans les forêts en hurlant, dansant -en transe- et se nourrissant d’animaux. Est-ce là le vrai instinct que Bacchus veut faire naître des hommes ? Il faut souligner que Les Bacchantes d’Euripide montrent des femmes réellement possédées par le Dieu dans le but d’amener la terreur en ville et de tuer Penthée qui ne pli pas. Ainsi, les Ménades ont très souvent la peur animale d’être dévorée. C’est à dire qu’on voit plusieurs mythes où une Bacchante fait le meurtre de son enfant, de sa progéniture : elle tue le nourrisson qui l’eut dévoré. Elle se libère de l’inhibition : elle dévoile la terreur et le dégoût qu’elle a pour son enfant.
*
Si l’aspect double du Dieu vous plait, si, vous aussi vous pensez que de la folie à la sagesse il n’y a qu’un pas. Rabelais, avec Pentagruel et Gargantua, nous montre bien la dualité de l’âme humaine. La difficulté à la cerner, ce côté sombre car imprévisible.
3 commentaires Ajouter un commentaire