Ce livre est le pavé du Mois, et malgré sa taille il reste relativement facile à lire, passionnant, il renverse tous nos modes de pensées actuels.
Gilles Lipovetsky, Jean Serroy, L’esthétisation du monde, Vivre à l’âge du Capitalisme artiste, Gallimard, 2013, 563 pages.
Cet ouvrage est une remise en cause total de notre système et surtout de ce que l’on croit savoir sur le système de l’art et de la culture. Personnellement, il aura ébranlé pas mal de mes convictions et m’aura donc poussé à de grandes réflexions.
Le regard de côté que propose ce livre appuie là où ça fait mal : il questionne la bien-pensance de l’art écologique, par exemple, en se demandant s’il y a plus que la volonté de redorer certaines images de marques derrière la mode verte. Paul Ardenne s’interroge aussi sur ce point.
« […] De plus en plus d’entreprises jouent maintenant la carte du respect de l’environnement ; on ne parle plus que d’économiser l’énergie, préserver les ressources naturelles, réduire le CO2, recycler les déchets, lutter contre la déforestation. Le design et l’architecture écologique font florès ; même les marques de mode font profession de foi écologique. Partout on célèbre les éco-produits : le respect de l’environnement est devenu un argument de vente. » (page 147)
Pour les auteurs de L’esthétisation du monde, nos mythes, nos villes, nos modes de consommations sont entièrement construits par et pour le capitalisme. L’art s’est immiscé partout : les immeubles sont tous plus beaux les uns que les autres, le mobilier aussi, il y a des expositions qui prennent place absolument partout. L’art et l’esthétique sont au centre du monde, mais alors, dans ce foisonnement, qu’est ce qui est encore réellement artistique ? L’art, le sublime, existe-t-il encore ?
On achète rarement uniquement par utilité, mais aussi pour l’esthétisme. L’art est partout et pour tous jusque dans nos meubles, achetés chez un mastodonte du design pas cher. L’art n’est plus une manière d’élever l’art par son omniprésence pécuniaire.
L’art est considéré ici à son sens large, on ne parle pas seulement patrimoine, expositions et art contemporain, on parle de musique, de cinéma et de multimédia… Steve Jobs et sa marque à la pomme sont considérés par les auteurs comme « les symboles parfaits du capitalisme artiste contemporain. » (page 76) Ce n’est pas seulement un objet innovent, il est beau, il est ludique et il donne une personnalité avec son slogan « Think different. » C’est l’héritier de l’esthète qu’on connaissait sous les traits de Dorian Gray.
Ainsi, le livre décortique notre rapport à tout ce qui nous entoure dans une analyse brillante qui nous pousse dans nos retranchements, qui nous interroge, nous heurte à ce que nous ne voudrions pas voir. Par exemple, la magistrale démonstration de la télé-réalité en objet artistique. Démonstration tout à fait recevable mais qui pique.
« Valeurs hédonistes contre injonctions sanitaires, écologiques, éducatives, performatives : ces tensions sont au cœur de la culture antinomienne hypermoderne. Nous ne cessons pas d’en vivre les effets au quotidien. » Bienvenue dans le Capitalisme artiste.
La prochaine bulle économique sera verte…
Sans doute !