Léonard de Vinci au Louvre

Voici un article doublement particulier, il est au sujet de l’exposition Léonard de Vinci qui a eu lieu au Louvre du 24 octobre 2019 au 24 février 2020, mais c’est aussi une lecture commune avec ce cher Goran. En ce moment, où les musées sont fermés et que la culture passe de sombres jours, un retour sur une exposition semble tout indiqué.
Spoiler alert : celle-ci m’a beaucoup déçue.

Léonard de Vinci, Louvre Edition, Hazan, 2019, 455 pages, catalogue de l’exposition éponyme.

L’EXPOSITION

Vue de l’exposition Léonard de Vinci, 2019 © Musée du Louvre © Antoine Mongodin

Cet article s’initie par ma critique de l’exposition, que je n’ai pas aimée du tout, au contraire de son catalogue.
Je vais commencé par faire allusion à quelque chose qui concerne tout le monde : le rapport qualité/prix, parce qu’on est quand même au Louvre et que c’est important dans l’appréciation d’un tel établissement de part son caractère touristique.
Il faut savoir que c’est une exposition très contraignante pour le public : extrêmement onéreuse, il fallait réserver au moins deux mois à l’avance. Honnêtement, si ça n’avait pas été pour une lecture/expo commune avec Goran ça m’aurait découragé. Je ne veux plus entendre parler de la désertion culturelle lorsqu’on propose des expositions pareilles. Bien sûr, vous me direz, c’est le Louvre, et le Louvre a un standing alors cela les vaut. FAUX. En plus d’avoir bloqué une soirée il y a plus de deux mois et d’avoir payé l’équivalent de deux petits repas pour une personne, c’est quand même bondé !
Je vous assure qu’après avoir passé de longs moments à jouer des coudes dans les transports à l’heure de pointe ça ne donne pas envie de faire pareil dans une exposition le soir venu.

D’ailleurs j’ai de très bons articles de critiques au sujet des expositions block buster, si cela vous intéresse. Je pense que ça vaudrait le coup qu’on en parle ici, car cette exposition de Léonard de Vinci c’est comme un Marvel : il en met plein les yeux mais c’est vide, extrêmement cher à produire, pour équilibrer ce coût sa place et ses goodies sont tout aussi chers, c’est du fan-service, peu importe ce qu’on met dedans, la formule fonctionne.
C’est dommage car il existe des expositions bien moins ambitieuses et mieux faites.

On va me dire que je suis de mauvaise foi, mais, lors de la visite, dans ma déambulation (ou plutôt ma percée au milieu de la foule) j’ai plutôt entendu des plaintes que des émerveillements.

Le contenu de l’exposition sinon ?
Je défends le fait qu’une exposition en elle-même est de l’art. C’est à dire, que derrière ce qu’on voit dans un musée, il y a une énorme machinerie derrière. Une expo, ce n’est pas accrocher 3 tableaux à un mur : il y a des plans qui sont dessinés, des murs construits, des éclairages commandés, réfléchis, des fils tirés, des recherches menées, des textes écrits et adaptés aux divers types de publics….
Un parcours d’exposition à une logique, un sens, et sa mise en oeuvre fait suite à une étude de l’espace, généralement ce sont des scénographes qualifiés dans les métiers de l’exposition qui orchestrent tout ça. Dans l’exposition que nous offre le Louvre -le Louvre !- il n’y a rien, aucune recherche, si ce n’est une suite de tableaux alignés dans des pièces sombres.

A mon sens, seule la première salle est intelligente, en son centre trône une sublime statue bien illuminée. Et sont articulés, sur le mur qui entoure cette statue, divers tableaux ou études de drapés mené par l’artiste (ou supposés de lui.) Il y à là un intérêt tout à fait technique dans cette comparaison, c’est un réel plaisir de faire glisser son regard sur les plis, les jeux d’ombres et de lumières… Et, dans les détails des cartels, on découvre des secrets d’exposition : bien évidemment, ce fut une exposition très complexe à mettre en marche. C’est tout à fait imaginable, et cette pièce nous parle justement des prêts des œuvres, qui sont stipulés sur les fameux cartels. On remarque alors que Rome ou Milan ont été bien plus frileux en prêts que Parme, et c’est bien normal. Parme a besoin de publicité culturelle et touristique et pas les deux autres. Nous, aurions-nous prêter la Joconde ? J’en doute !

Il est intéressant de voir que beaucoup d’œuvres sont importées des Etats-Unis et d’autres encore prêtées par la Reine d’Angleterre elle-même ! Quelques collectionneurs privés apparaissent également, mais ce sont souvent des reproductions. D’habitude discrets, ici les collectionneurs signent leurs prêts de leur nom. L’étude des drapés, toujours dans la première salle, à cela d’intéressant : elle réunit dans un même mouvement des pièces venues de tous les horizons.

Malheureusement, du reste, une foule de tableaux accrochés les uns relativement près des autres et c’est tout. Le comble étant, comme je vous le disais, du maigre parcours d’exposition : on n’y apprend rien qu’on ne saurait déjà puisqu’on ne parle pas de l’artiste inconnu du coin. On sait déjà son rapport avec la science par exemple, on sait déjà pour Mona Lisa : mais à aucun moment les commissaires de l’exposition n’ont jugé qu’il serait intéressant d’approfondir les choses, ils se sont contentés de banalités, c’est dommage ! A moins que le public visé ait été spécifiquement le public asiatique et peut-être serait-il moins au courant que nous au sujet de Léonard ? Honnêtement, je ne sais pas. Mais je soupçonne le musée de si peu fournir en information pour faire consommer le consommateur le visiteur : les livres, les guides, le catalogue, etc.

ENFIN, et là, c’est une catastrophe, ce bien maigre parcours d’exposition n’a pas été respecté. La Cène (une reproduction, mais ça, c’est bien normal) se retrouve à trôner fièrement au beau milieu des tables présentant les livres scientifiques de l’artiste. Le rapport ? Aucun. Sûrement fallait-il un tableau pour égayer tout ça ? Sûrement les autres murs n’était pas assez grands ? On est au LOUVRE BON SANG. Un minimum de qualité, de logique, au moins dans le contenu scientifique de l’exposition ou dans la scénographie, vu le monde, vu le prix, pitié !
Mais ça ne s’achève pas tout à fait là, on arrive sur les études consacrée à celle qui deviendra Mona Lisa. Et là, encore, si c’est bien normal de ne pas avoir QUE des œuvres de Léonard car on s’est pas fait trop copain avec les italiens avec cette exposition. Un buste, fait par quelqu’un d’autre, et PRÉSUMÉMENT sur le sujet, ça va un peu loin dans le tirage de cheveux. (Portrait présumé d’Isabelle d’Este, marquise de Mantoue. Attribué à Gian Cristoforo Romano, vers 1500.)

Ah, et le meilleur pour la fin, en sortant de ce calvaire vous trouverez une petite salle qui vous promets un « tête à tête » avec Mona Lisa. En 3D. C’est CA leur activité 3D ?! L’oeuvre elle est dans les étages au-dessus de nos têtes et ils se targuent de ça, non mais franchement ?
Surtout que niveau créativité numérique, dans le milieu de l’art, il y a actuellement beaucoup de choses qui se passent.
Et bien évidemment ce « tête à tête » numérique demande une nouvelle inscription, réservation et file d’attente…

Comme quoi, ce n’est pas parce qu’on est le plus gros musée de France qu’on peut tout se permettre, on apprendra ici que même les meilleurs ont leurs limites.

LE CATALOGUE

L’objet est magnifique, avec un léger embossage du lettrage, ici le titre de l’exposition, dans des couleurs cuivrées très saillantes. Le grammage du papier rend des pages lourdes, presque lustrées, qui permettent de très belles impressions.

En ouvrant le livre, on découvre un livre d’Histoire, c’est donc là que les recherches étaient cachées ! Avant de parler de Léonard de Vinci, on parle des érudits sensibles qui composait sa famille et du grand artiste qui l’a formé à Florence. De nombreux documents d’archive sont ici reproduits ou copiés, des contrats, des comptes… Qui permettent de rendre compte de la vie et du commerce de l’époque. Le tout alimenté de très belles reproductions. On explore le lien entre le mécène et l’artiste. On réalise que les commandes artistiques qui ont toujours existées sont aujourd’hui transfigurées. Il est intéressant de voir ce qui était mandé à l’époque et de quelle manière.

On fini par retomber sur le chemin de l’exposition avec une explications poussée au sujet des beaux drapés dont nous avons parlé précédemment, évoquant justement les difficultés à attribuées un dessin de cette époque.
De nombreuses pages livrent l’intimité de l’atelier, et là, véritablement, des chapitres tout à fait édifiant. Loin d’histoires larmoyantes hollywoodiennes, les auteurs retrâcent l’histoire de l’apprentissage de Léonard de Vinci auprès d’Andrea del Verrocchio. C’est tout à fait fascinant de comprendre comment ces fameux ateliers fonctionnaient alors, comment ils apprenaient à peindre, dessiner, comment évoluaient les artistes. Bien évidemment, ils prennent des pincettes, on n’est jamais à l’abris d’une erreur d’attribution et les brouillons sont rarement parvenus à nous. Mais le dialogue entre le texte et les images sur l’apprentissage de de Vinci auprès de son maître est tout à fait nourrissant !
On découvre également de merveilleuses études d’œuvres avec agrandissements et infrarouges, les commentaires indiquant les étapes, traits préparatoires, divers soins apportés en amont de l’oeuvre finale et invisibles à l’œil nu.
Toujours dans l’études du trait, les spécialistes repèrent les changement de techniques et ainsi les diverses périodes et évolutions du travail de l’artiste. J’ai particulièrement aimé les reproductions des études, voir ces belles images qui rendent compte du labeur de l’artiste défiler sur les pages, cela a quelque chose de saisissant, de presque sacré. Ainsi, des pages entières sont consacrées aux études et dessins préparatoires d’une oeuvre pour que le lecteur puisse comprendre les tenants de ce travail, jusqu’à son aboutissement.


@
DimitriTilloi


« L’océan des manuscrit » qui se tient au milieu de l’ouvrage fait la part belle aux fameux carnets de De Vinci. C’est d’ailleurs la partie la plus intéressante de l’exposition, voir ces si célèbres – ces mythiques même ! – carnets à quelque chose de fantastique. Bon, si ce n’est qu’il faut jouer des coudes pour atteindre les vitrines pour s’en faire repousser aussi sec…
Mais, le catalogue propose de très belles reproductions bien que cela demeure moins pittoresque et impressionnant qu’en réalité.
En écho à l’exposition, on trouve également un commentaire au sujet de la Cène, présentant également la copie que possède le Louvre et explicitant son histoire, pas moins fascinante que celle de l’original.

Ainsi, les rédacteurs livrent divers focus pour mieux appréhender cette oeuvre si foisonnante. Je me suis particulièrement intéressée à la partie qui traite des batailles. Les dirigeants de l’époque aimaient voir leurs victoires représentées et Leonard peignit pour Florence. Là encore, on assiste au décorticage du tableau, on découvre les dessins préparatoires etc. Je m’y suis tout à fait intéressée car les thématiques de la représentation d’une bataille mandée par l’état est au cœur du sujet du Tableau d’une exécution d’Howard Barker. Ce livre m’a fait une très forte impression car on y parle du travail de l’artiste, de sa liberté ainsi que du statut d’artiste femme. Ainsi j’ai beaucoup aimé pouvoir lire la réalité historique (Léonard) avec ce que je savais du fantasme de Barker.

Enfin, le catalogue de l’exposition s’achève sur une étude encore plus approfondie des œuvres, un vrai cour d’iconologie, dans les moindre secrets des réserves des musées, dans les services de restauration, de conservation.

EN SOMME

Ils auraient pu se contenter du livre qui est un réel travail d’orfèvre et qui n’a pas non plus dû être gratuit à produire et éditer au vu de sa grande qualité. On a l’impression que l’exposition n’était que le coup de com’ pour lancer ce merveilleux ouvrage. Là, on a un réel travail de recherches aussi bien historique qu’iconographique, ainsi qu’un traitement graphique admirable.
Bref, feuilletez, offrez-vous ou offrez à votre entourage le livre, mais ne regrettez pas l’expo si vous n’avez pu vous y rendre.
Le livre se suffit amplement à lui même, magnifique et érudit, c’est un bijou d’Histoire de l’art, de beau livre d’art !

22 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Patrice dit :

    Très bonne idée de faire une lecture et une exposition communes ! Merci pour cet avis fouillé sur l’exposition, quel dommage de ne pas avoir saisi cette opportunité d’anniversaire pour en faire quelque chose de mémorable. Le livre a l’air très bien, je vois que Goran l’a beaucoup apprécié aussi.

    1. Oui, je pense que le livre est parfait mais je ne le considère pas comme attenant à cette exposition.
      Oui, c’est une super idée de Goran la lecture/exposition commune, surtout pour moi qui passe mon temps dans les musées !

  2. Goran dit :

    Superbe ton article et merci d’avoir participé avec moi… 🙂 J’ai eu de la chance, car j’y suis allé au tout début et il n’y avait pas trop de monde, j’ai connu bien pire avec « Picasso et ses maitres » ou bien dernièrement avec Toutânkhamon, c’était l’horreur…

    1. J’imagine ! J’ai tout de suite abandonné l’idée d’aller voir Toutankhamon à cause de ça ! Au grand palais c’est souvent le cas malheureusement aussi… C’est triste quand à côté de ça on voit les petits musées et les galeries dèsertes ! Ils n’ont rien à envié pourtant puisqu’ils prêtent souvent les œuvres exposées

      1. Goran dit :

        Toutankhamon, j’étais à deux doigts de me barrer après 5 min, c’est la pire expo que j’ai jamais vu, une catastrophe. Sur la chaîne Museum il y a une émission de viste de musée, j’aime beaucoup, c’est parfait pour moi 🙂

      2. Ahah je vais me contenté de la vidéo alors !

  3. princecranoir dit :

    Mieux vaut le livre que l’expo donc. J’avoue que ces grands événements autour de tels artistes m’effraient plus qu’autres chose. Ceci dit, rien ne remplace la contemplation d’une œuvre dans son écrin de vérité.

    1. Oui ces blockbusters sont… décourageants.

      Pour moi le livre et l’exposition n’ont, finalement, rien à voir. Il faut prendre le livre comme un beau livre réussi en tant que tel et… Oublier l’exposition…

  4. Les éditions Hazan présentent généralement un travail éditoriale sans faille ! J’ai pas mal de leur catalogue d’expo et les reproductions sont en pleines pages, les explications précises… Pour ce qui est de l’expo je suis contente de ne pas y être allée, il est vrai que je ne suis pas parisienne et je suis souvent déçue de ne pouvoir monter dans la capitale voir autant d’expo que je le voudrais. Malheureusement, il est dommage que la renommée de grands musées soient gâchée par tout ce marketing, c’est un comble d’avoir un catalogue d’expo plus fournis que l’expo elle même ! Mieux vaux parfois fouiller et découvrir de petits musée qui ne payent pas de mine mais qui cachent des trésors !

    1. Je suis absolument d’accord ! Beaucoup de petits musées n’ont rien à envié au gros en qualité !
      Mais oui je prends vraiment ce catalogue comme un livre à part car ils n’ont rien à voir l’un avec l’autre !
      Il est vrai qu’Hazan à une renommée méritée dans le monde de l’art.

      Tu as bien fait de ne pas aller voir cette exposition, se déplacer pour « ça » ce serait rageant !

  5. keisha dit :

    Ce n’est pas le premier avis déçu que je lis. Pour toutankhamon, même pas eu envie. La foule…
    Sinon mon année 2019 a été l’occasion d’une belle expo à chambord (vue trous fois)(et il le fallait bien)
    https://www.chambord.org/500-ans/accueil/exposition-chambord-1519-2019-lutopie-a-loeuvre/
    et à Romorantin http://www.romorantin.com/exposition-sinspirer-vivant/ avec maquettes, films, videos.
    Le tout tranquille!

    1. Oui, idem je n’ai pas fait l’effort pour Toutankhamon !
      En effet, j’ai entendu divers avis tout aussi déçu que moi. Les personnes qui m’accompagnaient n’ont pas du tout aimé non plus.

      Le cadre est magnifique et la thématique très intéressante, merci pour ce beau partage.

      Début 2020 j’ai eu l’occasion de voir de très belles choses également, mais plutôt contemporaines. Je ne sais pas si elles seront prolongées à l’issu du confinement, mais Barbara Hepworth au discret musée Rodin m’a enchantée par exemple. De même que Rachel Rose à Lafayette Anticipations.

  6. Bibliofeel dit :

    Belle et convainquante chronique qui alterne le froid pour mieux servir le chaud ensuite… Une agréable et édifiante lecture ! En Touraine on a eu notre lot de commémorations creuses… Merci et bonne journée

    1. Avec grand plaisir, merci pour votre retour !
      Finalement, notre commémoration fut creuse aussi, mais heureusement il y a ce beau livre qui rattrape tout 🙂

  7. Mokamilla dit :

    Quelle chronique riche, passionnée et passionnante !

    1. Ooh merci beaucoup ! Je suis touchée !

  8. Merci pour ce retour passionnant! Je n’avais pas voulu aller voir l’expo, me méfiant des expositions « block buster » (j’adore ton terme! Je vais pouvoir le réutiliser pour parler des expositions de la sucrière à Lyon). D’ailleurs La sucrière lui avait consacré une exposition qui était juste navrante. Ne mérite-t-il que des mauvaises expositions ? x)

    1. Oui en regardant, j’ai vu que beaucoup étaient déçus d’une exposition comme de l’autre.
      Tu peux te renseigner, l’expression n’est pas de moi, même si j’aurais bien voulu Hihi, et est utilisée par les critiques et universitaires ! J’avais trouvé des articles plutôt cool

      1. Je n’avais jamais vu ce terme, j’adore! 😀

      2. Oui il est très bien trouvé !

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