J’avais envie d’une lecture courte et légère. Pas d’art, pas d’essai et surtout pas plus de 300 pages. J’ai pioché dans ma PAL ce livre qui y est arrivé je ne sais comment. Un prêt de ma mère sans doute.
Jonathan Coe, La pluie, avant qu’elle tombe, folio poche, 2010, présentement 2015, 227 pages.

Dans ce livre, nous retrouvons donc bien ; le court, la langue belle qui glisse toute seule, hypnotique, mais pas le léger.
Nous voilà dans une lande anglaise franchement lugubre, avec des personnages fantomatiques. Mais qui ont la présence des spectres. En effet, ces spectres sont très présents, palpables et chaque souvenir qu’ils appellent semble si réel qu’ils paraissent encore vivant aux personnages du roman. L’ambiance est bien dérangeante en somme. Je n’avais jamais lu cet auteur connu qui manie avec brillo la langue. Passant d’un point de vue à un autre sans user de mascarade ni d’artifice avec une facilité déconcertante grâce à une narration omnisciente. Vous l’aurez compris, ce qui séduit, c’est l’écriture.
Ensuite, l’atmosphère hypnotise, autant séduisante que macabre. Moi qui adore les romans histoires de famille, de vie, j’étais rudement bien tombée !
Il y a également le récit central : celui, réellement, qui révèle la fameuse histoire de famille. Une vieille femme qui vient de décéder (un spectre, comme on disait) laisse un témoignage audio, celui là même que nous lisons. Elle parcours ainsi sa vie et celles de ceux qui l’ont croisé, dès la Seconde Guerre Mondiale alors qu’elle était enfant. Cela a quelque chose de touchant, pour moi, car ma grand-mère doit avoir son âge et la campagne sordide me rappelle celle où elle habite.
Ce qui est particulièrement fascinant dans ce témoignage oral, au-delà de la maîtrise stylistique entre oralité, souvenirs flous et pourtant d’une linguistique parfaite, c’est que ce témoignage est fondé sur des photos. La vieille dame raconte ses souvenirs au travers de vingt photos sélectionnées, entre description et souvenirs. Et je trouve l’idée superbement bien menée, avec quelque chose de très poétique. D’autant plus que cette idée de description audio de photographies qui ravivent de souvenir à une symbolique folle dans ce texte (pour des raisons que je laisse le plaisir de découvrir, mais qui sont très parlantes.) Enfin, il y a une belle réflexion sur ces raviveurs de mémoires qui, si on parle beaucoup de supports visuels, sont détrônés par le son et l’odeur. En filigranes, d’ailleurs, cette réflexions est saupoudrée par divers personnages secondaires. Comme si de rien. C’est encore plus agréable et poétique car non frontal.
Comme si de rien, et c’est là où est la force de ce texte : des comme si de rien prodigieusement impactant.
Comme je l’ai dit, le texte est raconté par une personne âgée, mourante au moment de sa diction, et on retrouve des réflexions sur les souvenirs, les digressions, les fascinations morbides typiques d’un certain moment de la vie.
Dans ces souvenirs soi-disant audio, bien que nous, lecteurs, lisions, n’avons aucun mal à nous mettre à la place des personnages qui écoutent les bandes de cassette. En effet, nous non plus, nous n’avons pas accès aux images décrites, il faut se les figurer. Tout comme les écouteurs, aveugles.
Je trouve édifiant la manière dont le texte est traité, notamment car il parle de la condition des femmes à ces époques qui nous paraissent lointaines. Dans les années 1950, l’homosexualité était mal vue, si bien que les concerné.e.s ne se rendaient compte de leurs attirances que bien tard. Les femmes qui avaient divers amants, ou plutôt, plusieurs copains, étaient mal vues et devaient se poser, se marier au plus vite. La contraception était encore un fantasme… Quelques épisodes rocambolesques qui arrivent à divers protagonistes nous rappellent notre chance d’être au XXIe siècle. Pourtant, certaines mauvaises langues le disent encore : « plutôt que de créer des drames familiaux pourquoi ne pas s’être contenté de la norme, de ce qu’on leur proposait déjà ? » Je crois que ces gens-là n’ont pas de sentiments.
Certains passages, pas forcément les plus dramatiques, mais le passé dans le passé, comme autant de poupée russes, flanquent vraiment des frissons d’émotions durant cette lecture.
Comme je l’ai déjà désigné, l’écriture est forte dans ses détails et je suis agréablement étonnée que Jonathan Coe ait réussi un roman aussi féministe. De la sororité, à l’amour, sans jamais tomber ni même osciller avec la myriade de personnages féminins habituels des romans. C’est très juste, et tous ces sous-textes féministes font un bien fou.
Il y a quelque chose de boucle, de très réel dans le passage des âges, que presque tous les personnages font ressortir. Ce sens de l’âge étrange. On se sent vieux comme le monde entre 25 et 30 ans. On se sent adulte passé la quinzaine, et pourtant, quelques années après, très rapidement, on se rend compte que nous n’étions qu’enfant. Le tout, dans la bouche d’une vieille dame qui n’a pas oublié ce qu’était la jeunesse. C’est très beau, très sensible, sans jamais être larmoyant, seulement poétique.
Jamais je ne pourrais finir la chronique à la hauteur du roman. La fin… Désigner cette chute comme « en finesse » est trop pataud pour elle. Mais à ce moment, ce climax, où tout fait sens, la réalité rattrape, réellement, merveilleusement, sans s’y attendre. La justesse est le cœur de ce roman. Lu pour rien, comme ça, au début, et finalement, une très forte révélation. Une claque, que je n’avais pas prise depuis longtemps.
A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
Bon, je ne choisirai pas ce roman ci pour poursuivre ma découverte de l’oeuvre de Coe… trop spectral et lugubre pour moi !
Merci 😉
Je comprends ! Bien que je le trouve super bien et que ça ne soit pas en substance, il y a toujours cette sensation qui plane sur la lecture… Je suis sûre qu’il a écrit de superbe autres choses, qu’as tu lu de lui ?
La trilogie, la fameuse 😉
Merci !
Ouaou, après ça, il n’y a plus qu’une chose à dire : merci maman pour ce prêt… 😉
Quand je lui en ai reparlé elle ne s’en souvenait même plus Ahah ! C’est l’âge ! Ahah
C’est pas sympa ça 😀 mais tellement vrai, car j’ai la même 😉
Hihihi !
Belle chronique qui me donne envie de continuer à découvrir Jonathan Coe. J’ai lu Testament à l’anglaise il y a un longtemps, mes souvenirs sont 1 peu confus, mais j’avais beaucoup aimé.
Merci ! C’est une lecture qui m’a beaucoup plu alors que je ne m’attendais pas à ça !
Je ne connaissais pas Testament à l’anglaise mais ça peut être une piste pour continuer à découvrir cet auteur 😁
Oui souvent on se souvient plutôt des impressions qu’on a eut que du contenu des livres !
Je ne comprends pas trop, mes messages ne semblent pas passer…Y-a-t-il un problème ?
Bref, je réitère, belle chronique
C’est la phase de modération, normalement ils sont tous visibles désormais ! J’en ai compté 3 est-ce qu’il en manque ?
Non, non😳 désolée, je n’ai pas encore intégré la façon de fonctionner du système de modération.
Pas de soucis ! Tu as bien fait de m’écrire ! C’est arrivé à Goran : pendant une longue période il ne pouvait pas me poster de commentaires, il avait un message d’erreur du style « échec » et ça n’apparaissait même pas dans mes spams !
D’accord, merci de m’éclairer sur les mystères d’internet 😅
Avec plaisir ! Je ne suis pas là meilleure prof pour ça par contre Ahah
Bonjour, étant fan de Jonathan Coe, j’ai bien entendu lu ce beau roman et je le conseille même s’il n’ a pas plu à toutes les blogueuses. Bonne après-midi.
Ici il a plu aussi 😊