Lisière – Kassabova

C’est un livre complexe à appréhender tant il est riche et dense, mais je vais faire de mon mieux pour vous en révéler la beauté .
Cependant, j’aimerais ouvrir cet article avec la conclusion de la note de l’éditeur (que je vais m’empresser de mieux découvrir tant son catalogue à l’air sublime) :
« Parce que nous savons que vous êtes, vous aussi [sous entendu comme Kapka Kassabova] des aventuriers du réel, nous avons choisi les solides papiers Old Mill Bianco pour la couverture et Munken Print White pour l’intérieur. Ainsi, ce livre, à l’instar des objets antiques retrouvés dans les tombeaux thraces perdurera dans vos sacs à dos et bibliothèques.« 
Ce livre est aussi le Pavé du Mois.

Kapka Kassabova, Lisière, Marchialy, 2020, 486 pages

Pourquoi un passage publicitaire pour parler de la découverte de ce livre ? Tout simplement car il raisonne génialement avec l’oeuvre. Nous, lecteurs, sommes très exactement des aventuriers d’encre et de pages qui suivent la narratrice comme des chercheurs de trésors avides. On gravit des montagnes infernales, on se perd dans des forêts glacées, on passe d’un pays à l’autre, en enjambant de vertigineux ravins, on frémit dans les villages fantômes, oubliés, qui bordent la frontière de part et d’autre, on s’inquiète du souffle du vent, des éléments déchaînés, on se rapproche d’un sourire, on se raccroche à un regard qui nous rappelle que nous sommes en vie.
Aventuriers, mais loin d’Indiana Jones, les trésors que nous cherchons sont en réalité bien différents. L’air qu’on hume aux côtés de Kapka Kassabova, les traces qu’on suit, sont dédiés à la recherche de souvenirs. Des souvenirs précieux comme le monde, comme le temps, car ils englobent tout…

Loin d’être un roman d’aventure, la narratrice arpente la lisière que bordent plusieurs pays, la frontière au cœur de son ouvrage, de son sujet. On passe de Grèce en Turquie, en Bulgarie… Les guerres civiles ou mondiales se croisent, l’Europe, l’Asie et l’Orient… Le cœur du monde entier semble être perché dans ces montagnes abandonnées.
On se balade ainsi en recueillant des témoignages, de vieux, moins vieux, de parvenus, de réchappés des guerres. Chacun y va de son histoire, de sa version des légendes qui habitent l’endroit, mais tous se retrouvent dans la pauvreté, dans le mysticisme et surtout dans la montagne.

Le livre, comme le dit l’éditeur, est réellement beau. Un merveilleux travail éditorial à été fait et la couverture prend tout son sens lorsqu’on referme, pour la dernière fois, le livre.
C’est un énorme travail réellement esthétique, mais j’ai bien du mal à parler de ce livre si complexe. Entre chaque chapitre, l’autrice case un interlude : l’étymologie d’un mot grec, turc ou bulgare, une légende, qui fait écho avec le chapitre suivant et précédent. Les mots et la mémoire, l’imaginaire, comme lien tenu entre tout ce qu’elle arpente et voit lors de son voyage.

Un voyage pour recueillir des témoignages, parfois glaçants. La haine reste même si les conflits ne sont plus : elle a imprégnée les sols et les cœurs. A cause des invasions durant les guerres, les frontières et leurs habitants n’appartiennent pas à une seule culture. Ces limites territoriales ne cessent de bouger, des familles sont émigrées de force, des exilés fuient et se cachent dans les montagnes. Beaucoup de morts, dans les souvenirs comme dans les légendes, mais une étrange beauté dans la dureté des habitant, leur amour pour les paysages à couper le souffle que nous décrit Kassabova.
Vraiment, on est emporté même si souvent on ne comprend pas bien tout ce carrefour, d’une hauteur à une autre, d’un versant à l’autre, la même détresse, et la spiritualité de plus en plus palpable. N’importe qui aimerait visiter tout ça, mais les barrières de la langue sont nombreuses : les habitants parlent divers vieux dialectes, des mélanges de toutes les langues, mais sûrement pas l’anglais. En tout cas c’est très rare. Mais nous aussi, à lire tout cela, on a envie de s’y perdre, même si on est quasiment sûr de ne pas en revenir tant les embûches sont nombreuses.

Beau et déchirant à la fois, ce récit de voyage brillamment mené, historique mais aussi poétique et profondément humain, raconte un des carrefour du monde. Des peuples et des villes dénommées cent fois, des habitants qui n’appartiennent à personne, à nulle part, juste à la liberté de la montagne, perchés tout en haut du monde. Cette lecture est absolument grisante, en lisant on en sent presque l’air vivifiant.
Carrefour du monde, des langues oubliées, des traditions diverses, des religions, tout se mêle et tout créer cet écrin incroyable. Kassabova a réellement créer une oeuvre nécessaire : un devoir de mémoire qu’elle achève de la sorte :
« Mais par-dessus tout, je voudrais remercier du fond du cœur les gens de la frontière qui m’ont laissée y pénétrer, les vivants comme les morts. Vous n’avez pas été simplement des moyens pour narrer l’histoire de la frontière – vous êtes cette histoire.« 

25 commentaires Ajouter un commentaire

  1. PatiVore dit :

    Ah bien, je n’avais pas entendu parler de ce livre et je ne pense pas connaître les éditions Marchialy alors merci pour la découverte et bonne fin de semaine 🙂

    1. Je l’ai peu vu passer sur la blogo c’est vrai ! (juste une fois très récemment) mais la maison d’édition est à découvrir ! Leurs titres attisent grandement ma curiosité !

  2. Bibliofeel dit :

    Intriguant ce sujet, ce livre. Je note car je suis toujours attiré par les beaux livres et celui-ci semble vraiment réussi. Merci pour cette découverte !

    1. Avec plaisir ! Il me tarde de découvrir d’autres titres de la maison d’édition car je pense qu’il y aura également un traitement esthétique très poussé.

      C’est un sujet en effet intriguant et le livre le magne remarquablement bien

  3. Le livre attend sagement son tour sur mon étagère (mais en VO, donc une édition moins spectaculaire que celle de Marchialy). Ton billet me fait penser que l’attente va peut-être devoir être raccourcie…

    1. Pas besoin d’une édition spectaculaire : le contenu l’est déjà ! En vo ça doit être encore plus passionnant puisqu’il y a quelques réflexions sur le langage et l’étymologie.

      Oh oui je te conseille d’écourter l’attente ! Il me tarde de connaître ton avis sur cette lecture !

  4. allylit dit :

    Je ne connaissais ni ce titre ni cette maison d’édition mais ton post me donne envie de les découvrir, merci !

    1. Avec plaisir ! Ce titre est vraiment très beau, récit de voyage tendre et honnête à la fois j’ai beaucoup aimé ! Et la jeune maison d’édition semble prometteuse ! Riche en titres forts

  5. Goran dit :

    Je connais de nom, je pense le lire un jour et puis 486 pages ce n’est pas vraiment un pavé 🙂

    1. Si ça compte ! Au dessus de 400 pages pour les grands formats et 500 pour les poches 😁
      Il pourrait en effet te plaire !

      1. Goran dit :

        Et puis j’aime beaucoup leurs couvertures de livre… 🙂 À partir de 400 les pavés alors, j’ai pris note 🙂

      2. Oui leurs couvertures sont sublimes ! Et l’intérieur aussi soigné !

  6. Tu en parles formidablement bien et me donnes encore davantage envie de le lire (prevu en septembre).

    1. Ah j’espère qu’il t’enchantera autant que moi !

      1. Il y a des grandes chances, je pense

      2. Il me tarde de lire ton futur avis !

      3. Je te remercie d’avance 😃

  7. Je découvre complètement ce livre et ta chronique éloquente me donne envie de m’y intéresser. Il a l’air d’un livre particulièrement dépaysant et captivant et le fait qu’il soit un bel objet ne gâche rien !

    1. Ah oui, tout à fait ! C’est vraiment ce que j’ai ressenti, je te le conseille !

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