Alors, pour vous parler de ce livre, je vais prendre de sacrément drôles de pincettes !
Chester Brown, Ving-trois prostituées, éditions Cornélius, 2011, 280 pages.

Je vais commencé par les sujets qui fâchent, comme ça on s’en débarrasse. L’auteur est bien évidemment contre la pénalisation de la prostitution, il ne parle que des règles canadiennes car c’est là qu’il vit et que ce récit autobiographique prend place. La portée politique du sujet n’est pas ce qui m’intéresse ici, d’autant plus que je ne suis pas d’accord avec certains de ses arguments. Disons que je suis loin d’avoir un avis arrêté sur le sujet. Et en ouvrant ce livre je ne voulais pas obtenir un avis arrêté à la fin de ma lecture.
Non, ce que je cherchais, je l’ai eu et ça m’a beaucoup plu. Je voulais comprendre ce monde, les émotions. Je n’ai personnellement jamais pratiqué le sexe tarifé que ce soit d’un côté ou de l’autre, mais j’avoue m’être toujours beaucoup questionnée là-dessus sans jamais franchir le pas de l’expérience.
Et c‘est ce que j’ai aimé dans ce roman graphique, le narrateur nous raconte quand il a franchi le pas de l’expérience. Le récit s’ouvre sur sa rupture et les raisons qui le pousse à aller voir une prostituée. S’ensuivent des passages franchement drôles et réalistes sur les peurs et les angoisses que peuvent provoquer l’action d’aller voir une prostituée : « vais-je bander ?« , « les flics vont-ils venir faire une descente ?« , « est-ce que ses potes vont en profiter pour me détrousser ?«
Au fil du roman graphique, le narrateur prend ses marques et rencontre diverses filles dont il a toujours pris soin de cacher le visage dans ses dessins et taire la situation familiale. Dans sa préface, il regrette justement de ne pas plus humaniser ces moments avec elles, car il souhaite humaniser la prostitution. Et en effet, c’est un des gros points noirs de ce roman graphique, en les anonymisant pour le respect, il les a déshumanisé et a raté un coche. Il aurait pu inventer quelque chose, saupoudrer tout ça d’un peu de fiction, pour ne pas passer à côté de cette expérience, finalement, très humaine.
Bien que l’auteur ait réfléchit et évolué à ce sujet tout au long du livre qui prend place sur une période d’une vingtaine d’années, il ne cache pas certains aspects sans pour autant les dénoncer. Il décrit certaines filles à l’aise, divers fonctionnements de ce milieu (concepts de outdoor/indoor, système de notation comme pour les restaurants…) qu’il décortique par la suite en posant des questions aux filles qu’il voit. Il veut connaitre quels sont leurs avis, leurs ressentis.
Il y a quelque chose de très franc et humain dans ces pages même si cela est parfois triste. Certains numéros ne sont mystérieusement plus attribués, certaines femmes parlent pas/peu la langue du pays… Au milieu de celles qui sont à de leurs plein grès on peut s’interroger.
Mais ce qui m’intéresse ici c’est la complexité et le déroulement des choses. Le grand naturel que ces rencontres représentent, les pensées d’un client, la franchise des travailleuses. Du luxe au sordide, on se questionne, et, honnêtement, j’ai été assez lassée par l’argumentaire final qui n’est que texte de narration.
On a bien compris son point de vue, mais je trouve que politiser ce sujet polémique perd la poésie honnête, le sensoriel, que toute cette aventure raconte vraiment. Un peu comme un reportage au cœur d’un sujet méconnu, mais l’auteur a raté l’occasion de ne pas être moralisateur (avec, à nouveau, des arguments très moyens.)
Le roman graphique évoque aussi les problématiques sentimentales. Doit-on être en couple pour être heureux ? La construction d’une famille est-elle vraiment le but à atteindre ? Le sexe sans amour est-il possible ? L’amour familial et amical n’est-il pas plus important que l’amour passionnel ?
C’est donc un récit complet qui se questionne sur de nombreux concepts qui ponctuent notre vie de tous les jours : le sexe, l’amour… Le regard autobiographique et « de côté » de l’auteur lui permet d’expérimenter ses réflexions au rythme des années.
Je recommande tout de même, peut-être pour trouver le courage de passer le cap ou juste pour comprendre comment se déroulent les choses à un niveau très humain et au niveau de débat sociétal.
A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
Vaste débat…
Certes ! Mais il y a quand même des choses intéressantes dans cette BD
J’en suis certain…