Un livre qui remue, sublime et sincère, d’une autrice qui eu une enfance qu’on peut classer parmis la classe sociale des « white trash« . Un récit saisissant, quand le white trash n’est pas urbain.
Sarah Smarsh, Heartland, Christian Bourgeois, 2019, 288 pages.

J’ai peu connu la campagne. Le récit qui est là, c’est ma grand mère qui le vivait au beau milieu de fermes, de champs et de bois, qui n’avait pas l’électricité et allait tirer l’eau au puit.
Les conditions s’améliorent bien sûr, mais il y a toujours cette grande fracture avec la ville, j’en ai déjà parlé sur ce blog. Rien ne me paraît plus terrifiant que de devoir prendre la voiture pour aller chercher du pain. Pour moi, ça s’apparente à un drame.
Quand j’allais voir des cousins dont les parents étaient restés à la campagne, ils savaient escalader un grillage, déraciner un arbre mort, et ils ne pleuraient pas devant un animal écrasé au bord de la route ou un lièvre suspendu dans la remise.
Bref, ce n’est pas de la diagonale du vide française dont nous parle ce récit, mais des agriculteurs texans. Ceux-là mêmes, les invisibles, ceux à qui on dit « mais je croyais que ça n’existait plus, ta vie c’est les raisins de la colère«
La journaliste, pour son premier roman particulièrement réussi et singulier, se sert de ses souvenirs d’enfance et des entretiens qu’elle a mené avec sa famille, pour retracé son histoire mais aussi celle des oubliés de l’Amérique :
‘Il arrive que la personne qui conduit un camion-poubelle soit elle-même considérée comme un rebut. Le pire danger n’est pas le travail lui-même, mais la dévalorisation de ceux qui le font. Une société qui considère votre corps comme quelque chose dont on pourrait se passer vous infligera de la violence. Travailler dans un champ est une chose, être trompé par une société au sujet de l’innocuité d’un pesticides cancérigène en est une autre.‘
Des hommes et des femmes les premiers jetés en pâtures au monde de la finance et du bénéfice. Mais les derniers à savoir qu’on empoisonnant leur terre, leur eau et leur corps. Un témoignage bouleversant de l’anéantissement du monde à qui on a préféré la loi du profit financier.
Le roman ne se présente pas tout à fait comme un journal, plutôt comme un récit, si ce n’est quelques interventions adressées à sa fille. Sa fille qui a toujours été là, comme quelque chose qu’elle devait protéger (se sentant, très jeune, responsable d’elle même) ou quelque chose de carrément mystique et déifié. Cette chose finit d’ailleurs plus ou moins à se matérialiser dans les pages de ce roman.
Très bien écrit, comme j’aime – vous avez l’habitude maintenant – de détails qui disent tout. Description en 3 courtes phrases, une odeur, un geste, qui veut tout dire et vous jette instantanément le nez dans la ferme.
Des personnages plus vrais que nature, si vibrant qu’on oublie qu’ils ont été réels.
Un roman non linéaire, des vies racontées grâce à des retours en arrière nombreux mais qui illustrent très justement la certaine résignation des femmes de la famille de l’autrice. Elle évoque brillamment ce que c’est que d’être une femme blanche pauvre aux Etats Unis. Comme une lignée maudite de femmes blanches pauvres qui feront les mêmes erreurs sans que ce soit réellement de leur faute.