Je ne vais pas vous faire l’affront de vous présenter ce monument de la littérature. Cette figure éponyme de la femme libre au XIXème siècle, de la femme passionnée. Je crois que je n’ai jamais dévoré aussi vite un tel pavé ! Ah ! La littérature russe du XIXème ! Mais quel doux délice !
Léon Tolstoï, Anna Karénine, Folio, édition de 1994, 1 168 pages.

La géopolitique européenne de Guerre et Paix s’est ici transformée en un thème que la littérature russe aime broder, l’opposition campagne et ville. C’est d’ailleurs un thème qui m’intrigue et m’interpelle particulièrement dans le cadre de notre contemporanéité française. Cette opposition citadine et rurale, très exploitée dans ce roman et qui régit aussi notre si petit pays. Entre habitants nous avons les mêmes lois et mêmes enjeux, mais entre ville et campagne il y a réellement deux mondes.
Pour en revenir au XIXe siècle russe, cette opposition s’incarne dans deux frères : l’un vit avec les caprices de la nature et le rude travail aux champs ; l’autre, comme beaucoup de citadin, voit la nature comme l’occasion de s’allonger en lisant, en écoutant les cigales mais en pestant contre tout insecte volant.
Cette critique – toute actuelle qu’elle est – montre le frère citadin, animal politique qui se targue de se dédier au bien commun en penseur faisant partie d’assemblées décidantes. Il accuse son frère de ne pas pouvoir voir au delà de lui-même, de sa routine, l’œil collé à son travail dans les champs et donc de ne penser qu’à lui. Or le c’est le paysan qui vend sa production dans le but de nourrir les alentours. Celui qui croit œuvrer pour tous n’est peut-être pas celui qui œuvre réellement pour tous. Au cœur du roman, se trouve donc à cette opposition entre l’élite et le peuple. Une élite qui se targue de penser au bien commun mais qui croit que le commun lui ressemble trait pour trait.
La littérature russe du XIXème siècle s’adresse indéniablement à qui aime le drama. Ils pleurent tous les trois paragraphes – hommes, comme femme, un larmoiement n’est jamais loin. – Ils sont tous très exaltés comme sous l’emprises de stupéfiants ou d’alcool. Honnêtement, froufrous et dorures font très envie ! On comprend le succès passé de ces grandes sagas littéraires, et qui fonctionnent encore pour moi aujourd’hui. Ces grandes sagas amoureuses me régalent profondément. Finalement, les thématiques, et le rythme, ne sont pas très loin de nos séries tv favorites. Histoires d’amour, de coucheries, avec beaucoup de drames et un peu d’humour. Je pense qu’Anna Karenine en sitcom est un bon concept (rires).
On remarque, encore, la contemporanéité des sujets abordés. Les violences médicales étaient déjà mises à nues et critiquées au XIXe ! Nos débats n’ont rien de nouveaux. On le voit bien avec Tchekhov, mais Tolstoï est tout aussi bien là pour nous le rappeler. Dans un parlé dénué de toute subjectivité, dans le phrasé qu’on lui connaît : froid, poétique, dans une complexité enivrante. Alors, parce qu’il écrit si bien, le lecteur a à peine l’impression qu’il critique ces médecins qui aiment seulement le « m’as tu vu » et les grands mots mais qui font plus de mal que de bien.
Bien sûr, Anna Karenine c’est long mais ça fait un bien fou de lire une si belle langue et de se jeter tout entier dans un roman aussi absorbant, monumental, dévorant et monstrueux. On adore pleurer et frémir dans ce projet, fresque vivante, trop grande pour nous. Même s’il y a des longueurs – cette satanée partie de chasse à la bécasse qui dure environ cent pages m’aura fait décrocher, entre deux tableaux plats eux aussi – mais quel bonheur de les voir a nouveau souffrir ou être en proie à un sentiment étrange : le bonheur. Même constat dans cet épilogue, heureusement court, où après tant d’atermoiements et de rebondissements on doit s’intéresser à des questions religieuses, des pensées vagues et philosophiques, théologique et politique.
Un livre non pas à voir (même si je ne doute pas de la qualité de certaines adaptations) mais a lire ! On a parfois besoin de s’attaquer aux vrais monstres de la littérature
Une superbe et joyeuse chronique à la gloire de la littérature russe du XIXème siècle ! Si je n’avais pas l’objectif bizarre de lire des pavés de Thomas Mann, je relirais toutes affaires cessantes Anna Karénine !
Je nai encore jamais lu Thomas Mann mais j’en ai beaucoup entendu parler, je suis curieuse de lire tes reviews sur ton blog !
Ahah oui j’ai adoré Anna karenine ! La littérature russe du XIXe c’est toujours un plaisir pour moi 😁
Je n’ai encore jamais osé m’attaquer à Anna Karenine (ni à « Guerre et Paix ») mais peut-être qu’un jour je tenterai l’aventure. Ta chronique donne bien envie…
Si tu as aimé Dostoïevski, ou même la littérature romantique du XIXe, malgré les différences, cela devrait te plaire 😁
En tout cas, je suis une fane !
Oui, j’adore Dostoïevski ! J’ai même lu un de ses gros pavés (Les Frères Karamazov) avec énormément de plaisir. Les auteurs classiques russes ont tendance à écrire des livres très volumineux… mais aussi très beaux.
Je suis entièrement d’accord 🙂 Je pense ne pas me tromper en te conseillant cette lecture !
Je suis bien d’accord avec toi. Il faut lire ce récit plutôt que de voir son adaptation. J’ai détesté ce que j’ai vu jusqu’à maintenant sur les écrans. J’ai tant aimé le livre et le changement de description des protagonistes au fil du texte pour démontrer l’évolution intérieure de ces derniers.
On est de ces rares gens qui préfèrent la lecture au visionnage hihihi