On reste en Argentine pour cette deuxième participation à la troisième saison de Les classiques, c’est fantastique, dont le mois d’août est dédié à l’Amérique Latine.
J’ai choisi l’inclassable Musée du Roman de l’Eternelle – publié à titre posthume – de Macedonio Fernandez . Membre du groupe « martinfierrista » il a inspiré de nombreux auteurs d’avant-garfe comme Raúl Scalabrini Ortiz, Leopoldo Marechal et Julio Cortázar, et plus particulièrement son ami Jorge Luis Borges.
Musée du Roman de l’Eternelle est d’ailleurs considéré par les universitaires comme un roman précurseur de la narration expérimentale.
J’ai lu ce livre il y a 7 ou 8 ans, ça ne me rajeunit pas. Il est très rare que je relise des livres, j’ai d’ailleurs initié ce blog en 2013 pour pallier à ma mémoire défaillante envers mes lectures. Mais parfois, cela n’a point suffit, surtout que l’article à ce sujet n’est pas détaillé.
Macedonio Fernandez, Musée du Roman de l’Eternelle, Gallimard, 1993, 348 pages.
De ce livre, je garde une impression mystique. Ce n’est pas le genre de livre qui se dévore et je pense que je n’ai peut-être pas su quoi en penser en le refermant la dernière fois. Je me souviens avoir eu la sensation de quelque chose de grand, d’avoir l’impression que je venais de lire une chose d’un type inédit, que je n’avais jamais lu, et d’ailleurs, que je ne lirai plus jamais.
Finalement, c’est le souvenir de cette impression qui me reste, pas du tout le contenu du livre, l’impression d’avoir ouvert les portes de LA littérature, d’avoir mis le doigt de pied dans quelque chose de trop grand pour moi.
Etrange, n’est-ce pas ?
Alors, nous voilà, ce livre et moi, pratiquement 10 ans plus tard, face à face.
D’abord la préface de Jean-Claude Masson, le traducteur, nous rassure et nous aiguille un peu. Je quitte alors la préface du traducteur, pour celleS de l’auteur.
Envolées lyriques mystérieuses pour « l’Eternelle » dont on ne sait, et ne comprend, pas grand chose. Puis préface drolatique au sujet du roman… Du bon roman, et, surtout, du mauvais. Cet ouvrage, « cette acquisition inaliénable d’un volume qu’on ne souhaite pas acheter, mais qui est indissociable de celui que l’on convoite« , se considère bien comme à la foi un mauvais et un bon roman. Mais est-ce même un roman ? La question se posera plus tard… Même si c’est pour l’instant la seule chose dont l’auteur à l’air certain, qu’il est en train d’écrire un roman, ou deux à la foi, un bon et un mauvais, pourtant indissociables, le même et jumeaux à la fois. Cette préface poétique et qui peut paraître sans queue ni tête succède à une autre, bien plus incroyable, que je vous laisse le plaisir d’admirer ici dans son entièreté :
« Préface à l’éternité
Tout a été écrit, tout a été dit, tout a été fait, entendit Dieu – voilà ce qu’on lui disait alors qu’il n’avait pas encore créé le monde, qu’il n’y avait rien. Cela aussi on me l’a déjà dit, répliqua-t-il peut-être du fond du vieux Néant fendu. Et il se mit à l’œuvre.
Une phrase de musique populaire m’a été chantée par une Roumaine, puis j’ai trouvé dix fois ce motif dans diverses œuvres, chez divers auteurs des quatre cents dernières années. Il ne fait aucun doute que les choses ne commencent pas ; ou qu’elles ne commencent pas quand on les invente. Ou que le monde fut inventé déjà vieux. «
Voici un exemple du phrasé, de l’univers, des préfaces qui vous plonge dans une profonde méditation sur vous, la littérature, l’art et le monde… Il n’y a qu’à voir le titre, le livre se prend pour un Musée ! Un Musée du Roman….
Je ne vous détaillerai pas plus mot à mot ce chef-d’oeuvre, sinon ce billet serait bien long, mais je vais essayer, de vous en transmettre l’essence, pour qu’à votre tour, vous ayez la curiosité de lire, et que vous sombriez avec moi !
Les préfaces – qui sont multitudes et toutes tournées vers la complexe métaphysique du roman – composent la moitié de l’ouvrage. Macedonio y détaille ce roman : un roman pour les lecteurs lacunaires qui devront le lire entièrement, puisqu’il fait lui même les ellipses, qu’il écrit des phrases sans sens grammatical – juste l’idée est compréhensible – et d’ailleurs, il ne termine pas non plus toutes ses idées ; il présente un roman sans personnages crédibles et il le revendique – alors, je continue à m’interroger : est-ce bien un roman ? – ici, il n’y a aucun pacte avec le lecteur. Au contraire. Il faut bien comprendre – et Macedonio insiste ! – que les personnages sont irréels, déjà morts, déterminés par le mot « fin » qui clôture le roman. Rien n’existe ici.
Déjà, de son temps, il y a un siècle, il blâmait le fait que les gens écrivent plus qu’ils ne lisent. Pour lui, c’est à ce moment que le roman est devenu art : pour se lire soi-même, entre-soi, pour la critique, pour l’exercice.
Page 135, nous en sommes encore aux préfaces, et il se joue de ses lecteurs, leurs disant qu’ils vont devoir subir ses grandes considérations avant de découvrir le roman, qui commence déjà dans les préfaces. Des personnages sont présentés puis s’en vont avant même le début du roman, dans la multitude de préface dont on ne voit pas la fin.
» […] que voulez-vous, jusque-là vous devrez continuer à concilier votre intérêt avec ce que je dis avant d’entrer dans le vif du roman…«
Taquin, Macedonio se rit du roman, questionne la littérature, et tente d’amener le lecteur à la réflexion. Rarement oublié des préfaces, l’objet devient même un personnage du roman, tout comme l’auteur d’ailleurs.
Les personnages inexistants, comme le Président ou Douce-Personne, ne tournent pas réellement autour d’intrigues, sauf si absurdes. Les thèmes évoqués sont principalement autour du sentiment amoureux : sujet incontournable de l’art, de la littérature. L’idée de « quête » est invoquée, envoyant les personnages « en quête de… », de quoi ? Là aussi, l’absurdité fait foi.
On mettra tout à l’honneur le personnage du Voyageur, qui fait irruption à chaque fois qu’une intrigue prend, qu’on oublie que les autres personnages ne sont pas réels, qu’ils ne sont pas que concept, qu’on leur attribut des sentiments… Quand même, une maestria de l’auteur, de saboter ce qui fait le roman pour mieux l’interroger.
Enfin, voici ce livre relu. Il me laisse un souvenir moins grand car ce fameux roman est tout de même lassant, mais c’est une expérience littéraire que je conseille. Avec une sensibilité très poétique à décloisonner le roman, mais avec quelques philosophies métaphysiques qui peuvent décourager si on n’est pas en grande forme.
Après ça, ça y est, je crois que je suis prête pour Ulysse de Joyce !
Chiche, pour Ulysse 😉
J’avoue qu’il me fait encore peur ahah !!!!
En lecture commune ça te dis ?
Houlà, sacré défi, ça…
Je veux bien tenter l’expérience, mais pas tout de suite : j’ai pas mal de livres sur le feu. Tu me relances vers mi-octobre ?
On fait comme ça !
Tout pareil !
Encore un auteur argentin que je ne connais pas… et que je note au cas où. Mais je connais Borges, Cortazar et Ortiz 😉
Et figure toi que je n’ai lu aucun de ceux-là (pas encore !) ahah !
Pareil pour moi sauf quelques textes courts de Cortazar et j’ai bien aimé 🙂 Bonnes futures lectures à toi 🙂
Bonnes lectures à toi et à bientôt !
Merci pour cette découverte! Je ne connaissais pas… Toute une expérience de lecture! Je ne sais pas si je vais me lancer mais ton article a piqué ma curiosité.
Ah c’est très particulier ! Une vraie expérience… A tenter !
Tu proposes de sacrées découvertes ! Je crois que celle-ci est trop particulière pour moi, je sens la lecture qui finirait en diagonale ! Bon courage pour Ulysse si tu te lances, je ne l’ai jamais lu et j’avoue qu’il fait peur !
Oui c’est vraiment « perché » j’ai considéré ça plus comme une expérience littéraire plutôt que réellement une lecture, il faut s’accrocher c’est vrai ! Ahah je t’en dirais des nouvelles ! Il est très effrayant en effet !
J’ai déjà du mal à être attirée par la littérature hispanophone et lusophone, je crois que je ne vais pas me lancer dans des expériences pareilles, ça n’arrangerait probablement pas mon cas. ^^
Ah, dans ce cas je ne conseillerai pas celui-là c’est sûr ! hihi !
Merci pour ta participation 🙂
Je ne sais pas si je vais me laisser tenter, ça a l’ai très (trop?) expérimental.
Ah oui c’est vrai que c’est particulier, il faut y aller en connaissance de cause ! Cela ne se lit pas tellement comme un roman ou une pièce de théâtre, pas comme un essai non plus…
On est plus proche de « l’expérience littéraire » que de la lecture. Mais je suis ravie de l’avoir (re)découvert !
Si tu t’attaques à Joyce, je suis absolument admirative !
Belle chronique !
Il est possible que je le fasse sous forme de lecture commune, tu serais intéressée ?
Là ça me paraît difficilement envisageable. Trop de lectures plus urgentes m’attendent. Mais merci pour la proposition !
Ca marche ! Si jamais je compte pour l’instant lancer ça aux alentours de janvier !