Plaire et toucher – Lipovetsky

Je vais vous parler d’un essai qui m’a beaucoup remué car il mettait en mots intelligibles des choses que je pense, des intuitions que j’ai, depuis un certain temps.
Pour rappel, toujours acerbe sur notre société, j’avais déjà parlé de Gilles Lipovetsky ici.

Gilles Lipovetsky, Plaire et toucher, Gallimard, 217, 480 pages.

Le livre s’ouvre avec une très belle et longue histoire de la séduction. L’histoire de la séduction ne parle pas forcément de sexe, elle parle – certes – de drague, de parade amoureuse, comportant d’ailleurs quelques comparaisons avec les parades amoureuse des animaux, mais elle parle surtout des traditions indigènes, mais également plus tardives, jusqu’à nos jours. Elle parle bien évidemment de tatouage, de maquillage, de mode vestimentaire.
Ainsi, cette histoire de la séduction transcendent tous les arts, l’Histoires des arts : avec même aussi une rapide Histoire de la mode. Et bien sûr, tout cela s’accompagne d’une histoire des coutumes de drague. C’est-à-dire, comment séduisait-on à l’époque ? Comment selon les époques ce qui précédait les fiançailles se manifestait ?

Ce n’est que vers la moitié du livre, que l’auteur entre dans le vif du sujet. Plaire et toucher, c’est être séduit par notre monde capitaliste. C’est la publicité qui nous vend quelque chose qui nous plaît pour qu’on veuille le toucher. Tout cette grande histoire du monde et des cultures au sujet de la séduction nous amène aujourd’hui à la séduction de masse du capitalisme

L’essai passe très rapidement au niveau de l’art, avec un musée qui cherche à séduire et non plus à instruire. Le musée sert en réalité de transition pour parler de la télévision. Elle aussi, même si nous ne nous en souvenons plus, cherchait d’abord à informer, à cultiver et ensuite à divertir. C’est raté : se divertir est aujourd’hui la priorité absolue pour la télévision. Ainsi, l’auteur propose une étude très intéressante de cette évolution qui a rendu le monde addict à la télévision.

On retrouve Lipovetsky dans le rôle où je l’ai connu : c’est-à-dire en grand critique de la société de consommation et du capitalisme. Pour lui, il n’y a aucun espoir : nous sommes tous des vendus. J’étais un peu inquiète de voir que le lecteur n’était pas encore insulté au bout de 275 pages. Mais rassurez-vous, l’espoir n’est pas présent : nous sommes des moutons consommateurs. Ainsi, il ne crois pas au déclin de la consommation, il pense seulement à la possibilité de la consommation durable, l’aspiration à un meilleur environnement, et un effet de mode, et une nouvelle manière de consommer différemment mais toujours en abondance. Ainsi, après avoir étudié le plaire et le toucher chez le divertissement : télévision, comme on l’a dit, mais aussi cinéma, réseaux sociaux… L’auteur s’attaque à la « séduction malheureuse« , c’était dire à la politique. Le surnom, très bien trouvé, est de lui.

Si vous aussi depuis des années, de longues années, une décennie, ou même plusieurs, vous vous lamentez en disant que la politique est devenue de la téléréalité. Il n’y en a plus rien à faire du peuple, des stratégies pour le pays, c’est seulement du m’as-tu-vu, seulement de l’apparence, seulement des petites stars qui se montrent à la télé. Et bien, si vous aussi vous déplorez cet état des choses : lisez ce livre, il vous expliquera le comment du pourquoi cette construction actuelle et médiatique du politique s’est mise en place.

C’est un bon livre très complet qui, en plus de sa dimension historique, possède aussi une réelle dimension politique. Critique des médias, du traitement de l’actualité, du divertissement à outrance, du toujours plus, du show absolu, de notre monde ne tourne plus autour de ça. Certes, la thèse du livre est plutôt négative, plutôt désespérée, assez vindicative, mais je pense qu’elle est juste. De la à en apprendre beaucoup plus sur la situation actuelle, je ne sais pas, car j’avais déjà remarqué certaines choses
Peut-être, ai-je appris l’histoire, les événements, qui nous ont amenés à cet état de faits. J’apprends également que c’ est encore moins nouveau que ce que je pensais, que finalement oui, on se laisser avoir par le divertissement depuis beaucoup plus longtemps que ce que nous pensions.

Après s’être attaqué à la culture et à la méfiance du politique, l’auteur s’attaque à la famille et plus particulièrement à l’éducation. Une éducation qui fut très stricte, et l’auteur qualifie les enfants de maintenant d’enfants rois, il étudie ce qu’il appelle « l’éducation-séduction« , renversant les anciens dispositifs disciplinaires, et qui touche tous les aspects de la relation entre les parents et les enfants
Pour l’auteur que ce soit en famille ou à l’école, il n’est pourtant pas question de retour en arrière et aux traditions, si l’éducation à la dure était aussi excellente qu’on le dit il n’y aurait pas eu autant de Guerres Mondiales en si peu de temps. Mais il est vrai qu’on entend beaucoup plus parler de difficultés d’apprentissage et de violence à l’école. Pour l’auteur, la solution serait peut-être le numérique. Le numérique qui permettrait une dimension geek sans pour autant déscolariser les élèves et les couper du monde et de leurs professeurs.

 » Ce qui nous fait souffrir ce ne sont pas les technologies séductrices de l’aisthesis et la fétichisation marchande, mais les difficultés croissantes de la vie professionnelle, de la vie intime, du rapport à l’autre. Il faut beaucoup d’aveuglement pour rattacher notre peine à vivre au prétendu conditionnement intégral des affects par les sirènes du marketing. Ce sont moins des rapports desindividués aux choses qui blessent l’estime de soi, que le monde du travail ou les déclassements et pertes d’emploi sont renvoyés à la responsabilité de chacun. Il en résulte une peur de ne pas être à la hauteur des exigences de l’entreprise, des sentiments croissants d’humiliation et de dépression, l’amertume de compter peu en tant que personne. »

Enfin, en conclusion : quelle est la société de demain ?
A cette question, l’auteur propose plusieurs possibilités. Un monde où l’écologie aurait pris sa place, l’auteur n’y croit cependant pas, il prédit plutôt une image proche des films cataclysmique. La deuxième possibilité propose une société issu du terrorisme, une société hyper surveiller contre le terrorisme. Ensuite, l’auteur prédit – et c’est ce qu’il trouve de plus pertinent – une société digne du film Idiocracy. La dernière possibilité, enfin, propose de rien modifier, de ne rien changer, de continuer sur cette vit de capitalisme de la séduction. C’est sur cette possibilité que l’auteur s’arrête, mais alors jusque où pouvons-nous réellement aller ?

L’espoir ne serait-il tout simplement pas dans l’art ? Que ce soit l’écriture, l’artisanat, ou quoi que ce soit d’autre, n’importe quelle activité créative. L’art permet d’avoir une autre relation temps, de prendre son temps, de penser, de s’exprimer, et ainsi, d’être moins entraîner dans la danse du monde capitaliste et de la séduction à outrance. Et si refaire des choses de nos mains, avec notre tête, c’était ça la solution ?

2 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Bibliofeel dit :

    Cela semble un livre très complet sur le fonctionnement et les défauts du capitalisme tout en le présentant comme inéluctable… On a déjà vu mille fois et cela me rappelle la fin de l’histoire qu’on nous a servi longtemps… On a vu ce qu’il en était. Le fatalisme me semble la pire chose actuellement car il empêche d’agir. Un livre qui ne me tente pas vraiment !

    1. Oui, c’est un auteur très acerbe, mais j’ai quand même apprécié la lecture. L’espoir est présent, discrètement, à la fin… Mais je crois qu’il n’y croit plus vraiment.

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