Une Antigone à Kandahar – Roy-Bhattacharya

Le livre est au moins aussi envoûtant que le titre. Je ne comprends pas qu’il n’ait pas eu plus de reconnaissance. On tombe dedans et on ne peut plus le lâcher il promet des heures de lectures intenses.

Joydeep Roy-Bhattacharya, Une Antigone à Kandahar, Gallimard, 2012, 248 pages.

Déjà, la biographie de l’auteur donne le vertige. Réel génie, cet homme d’origine indienne qui a été dans de grandes universités américaines pour, entre autres, étudier la géopolitique, utilise tout cela dans son fabuleux roman. Il utilise tout son bagage universitaire pour faire vivre le livre au travers de sa connaissance des guerres, de leurs déroulements sur le terrain, de ses connaissances anthropologiques et aussi littéraires. Tout ce mêle dans ce roman incroyable.

L’œuvre s’ouvre alors qu’Antigone, dont la famille a été massacrée (et ses jambes avec) par une bombe américaine, vient demander le corps de son frère pour pouvoir l’enterrer selon les rites afghans. Elle patiente des jours sous le cagnard devant le fort américain. À travers ses yeux on voit les soldats s’agiter et on assiste, impuissants, à l’incompréhension entre les peuples. Pourtant tous sont humains, sont déracinés, leurs familles à des milliards de kilomètres et/où détruites. Mais ils ne se comprennent pas, les rites et les coutumes semblent hermétiques.

Dans un même régiment, ils ne se comprennent ni ne s’entendent non plus, les États-Unis sont trop grands, les régions de naissance trop lointaines… Les histoires trop différentes. Ce sont tous des gamins qui jouent à être des hommes, qui n’ont pas le choix. Certains sont là par dévotion pour le pays, d’autres car c’était la guerre ou la drogue… Les plus anciens portent un regard critique et qui fait un bien fou sur l’armée américaine (on pourrait dire les armées occidentales) et ses (leurs) actions. Pas dénué d’arguments, utilisant un large panel de personnages qui montrent la grande complexité des choses, ce roman nourri l’esprit et l’âme au même rythme qu’il se dévore.

Suite au premier chapitre, où nous lisons la voix d’Antigone, se succèdent les voix des soldats, les uns après les autres. Bon, pas toute la base, bien sûr, mais les principaux. Cela rend ce roman extrêmement riche : après une vision continue d’Antigone, le même temps, découpé, nous est raconté par une dizaine d’autres points de vue. Cela évite une répétition puisque les points de vues s’enchaînent mais conservent l’ordre chronologique des événements. Et cela offre une richesse nouvelle à chaque narration.
Ainsi, il y a une intense profondeur dues à la pluralité des personnages et à leurs croisements au fil de la journée : non seulement on a accès à leur intériorité mais aussi à tous les points de vue des autres au fur et à mesure que le temps passe. La chronologie est particulièrement réussie et le tout offre beaucoup de relief.

Il faudra que je regarde mais l’écriture, si elle n’a rien de particulière si ce n’est qu’elle est agréable et efficace, a peut-être être déroutée certains lecteurs. En effet, l’auteur ignore totalement le saut de ligne ou les tirets qui indiquent les dialogues. Tout se suit et donne l’impression qu’on ne peut prendre son souffle, tout file rapidement et se dilue dans le temps, comme un souvenir, un rêve, qu’on chercherait à remonter avant qu’il ne s’échappe. Cela donne beaucoup de force au roman et l’écriture est tellement bien maîtrisée qu’on ne s’y perd pas.

Cette maîtrise est incroyable, car je pense que l’auteur joue justement de ça pour mêler pensées et paroles, ce qui est pensé et ce qui est dit. Ces deux choses, soyons honnêtes, comportent des nuances que l’auteur s’amuse à gommer, à mélanger en les narrant pareillement. Pourtant, au lieu de perdre le lecteur, cela met le doigts sur une réalité. De même, il joue de la même chose pour les rêveries (très présentes) des personnages. Entre endormissements ou vagabondages de l’esprit cogné par le soleil, c’est autant de spectres qui se mêlent au présent et nous transporte ailleurs. Les digressions existent aussi peu que dans nos propres rêve. Mais la encore, la maîtrise est telle que cela donne un objet littéraire intéressant sans que l’on s’y perde.

Ah oui, une dernière petite chose, comme vous l’aurez compris ce récit se déroule en pleine guerre d’Afghanistan. J’ai sincèrement adoré l’ouvrage, mais je le déconseille en période de déprime.

8 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Goran dit :

    D’après ce que tu dis, l’écriture semble ressembler à celle de José Saramago…

    1. Que je ne connais pas ! Mais j’ai beaucoup aimé !

  2. ceciloule dit :

    Oh, tu m’as vraiment intéressée là ! Je note tout de suite ce titre 🙂

    1. Ce livre est renversant, je te souhaite une excellente lecture.

  3. Madame lit dit :

    Cette histoire m’apparait comme un jeu de procédés entre onirisme et réel. Belle suggestion pour rêver avec cet ailleurs!

    1. Dans l’écriture c’est cela. Disons qu’on enchaîne les points de vue et linteriorite d’une dizaine de personnes qui sont extrêmement bien mises en lumière de la sorte !

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