Les Groseilles de novembre – Kivirahk

Lecture à absolument lire en automne ou en hiver (en novembre de préférence bien évidemment.) La quatrième de couverture cite Sophie Pujas de Transfuge : « Un monde truculent à la façon de Jérôme Bosch. » Oui.
Lecture dans le cadre du Challenge des littératures de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran ! En 2020, j’ai choisi de vous amener exclusivement en Estonie !

Andrus Kivirahk, Les Groseilles de novembre, Le Tripode, 2019, 290 pages.

J’ai plus qu’adoré, j’ai été plus que happée dans ce récit fascinant, merveilleux, étrange et morbide dont l’écriture directe ne s’embarrasse pas de fioritures. Pourtant, aussi direct que ce soit, la plume qu’elle soit lente ou remplie d’action, coule toujours au même rythme. Cadencée mais aussi descriptive et poétique, il n’est pas une phrase ou un passage nébuleux. Tout est clair, même le plus étrange. Et de l’étrange, il y en a dans ce roman ! Les évènements les plus improbables s’enchaînent, les esprits les plus benêts ne parviennent pas à mettre de l’ordre dans leurs idées, et pourtant, tout, absolument tout, est d’une clarté déconcertante. Sans hésiter, je me procurerai L’homme qui savait la langue des serpents pour pouvoir me plonger à nouveau dans cet univers.

L’histoire est difficile à expliquer. Disons que nous assistons aux drames et aux joies (soyons honnêtes, plutôt aux drames) d’un village du fin fond de l’Estonie. Une note de l’éditeur nous rappelle d’ailleurs que ce fut l’une « des dernières régions païenne d’Europe […] évangélisée qu’au début du XIIIème siècle.« 
Ainsi, tout un folklore estonien halluciné prend place en ces pages. Imaginez les Dames Blanches à chaque route, les Croquemitaines qui rôdent, le Diable passant dans la forêt en attendant de signer des contrats, les loups affamés, les animaux plus improbables les uns que les autres qu’on pourrait croiser, la sorcière à l’orée de la forêt, des hommes qui se changent en loups… Bref, tout un folklore qu’on pourrait presque croiser de par chez nous. Un folklore, d’ailleurs que j’aime particulièrement. Ces histoires de fantômes et de démons, cette ambiance d’automne froid et de forêts glacées m’ont rappelées mon enfance. Une enfance passionnée par ces histoires de magie morbides, habitées de Diables et de Bloody Mary. J’ai donc retrouvé une réelle âme d’enfant en lisant des passages, emprunts d’étrange, comme celui-ci :
« On alla au cimetière. Comme toujours, les morts déjà enterrés vinrent saluer leur nouveau compagnon et suivirent le cortège à quelque distance. Chacun d’eux chevauchait l’animal qu’on avait tué pour son repas de funérailles. La plupart montait des moutons ou des veaux morts, mais deux ou trois étaient juchés sur le dos d’un cochon, et quelques paysans très pauvres essayaient désespérément de se tenir en équilibre sur un coq ou une poule. Un coq jeta même son cavalier à terre et s’envola dans un cri par-dessus le portail du cimetière pour rejoindre le monde des vivants. Le malheureux défunt, qui était désormais condamné à marcher à pied éternellement, épousseta tristement ses vêtements, tituba jusqu’à sa tombe et, fourbu, s’installa au sommet de sa croix.« 

Ainsi, voyez, tout est écrit comme ça beau et simple, rendant l’improbable et la mort si naturels et acceptables. C’est un imaginaire très particulier que je ne sais à qui conseiller ce livre (si ce n’est à moi, bien évidemment.)
Bref, ceci est un des premiers passages que j’ai souligné, puis j’ai abandonné de noter mes favoris quand j’ai compris que je soulignerai un passage sur trois.

Bon, j’en ai fait des tonnes sur l’ambiance et l’écriture, vous avez compris à quel point tout cela était incroyable. Mais l’histoire ? La vérité c’est que tout est parfait et le récit ne s’achève pas… Une fin violente, plutôt gratuite, mais qui est juste une péripétie parmi d’autres. Un fin comme un cheveux sur la soupe, une fin en queue de poisson ! D’ailleurs, j’espère ardemment une suite à ce roman !
Et le reste ? Fabuleux ! Pas de demi-mesure ici ! L’histoire tient globalement sur quelques pages : dans un village pauvre, certains acceptent de travailler pour le baron, d’autres sont totalement contre ce servage. Il y a donc naturellement une guerre ouverte à ce sujet entre les paysans. De jeunes gens demandent le droit au rêve et au romantisme alors que tous les vieux terriens ne pensent qu’à voler de la nourriture au manoir du baron ou chez leurs voisins. Rien ne pousse en novembre, c’est l’hiver, tout est recouvert de neige, alors, pour subsister il faut voler.
Au milieu de tout cela, des petits démons de maison ont la part belle. Invoqués pour voler chez le voisin ou pour faire le ménage, ils apparaissent en échange d’une âme au diable.

Le merveilleux morbide cohabite ainsi avec la vie difficile de ce village. On a l’impression que ce n’est rien comme ça, mais on se prend d’intérêt pour tous ces personnages. Pas d’affection, mais d’intérêt pour ces vivants qui ne cherche qu’à faire des coups fourrés aussi bien aux morts qu’à leurs semblables.

27 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Goran dit :

    Et moi qui voulais le lire cet été 🙂

    1. Ce n’est pas interdit 😉

      1. Goran dit :

        Trop tard 😉 😀

  2. Patrice dit :

    Très belle contribution ! Je viens de lire plusieurs billets extrêmement positifs sur ce livre et le précédent. Je ne suis pas encore laissé tenter à cause du côté très imaginaire du livre, mais ce n’est qu’une question de temps. Si l’on n’est pas convaincu en lisant ton billet, on ne le sera jamais 🙂

    1. Oui je n’ai pas encore vu d’avis négatifs ! Cet auteur m’a totalement séduite, en finissant ce livre ci je me suis précipité sur « L’homme qui savait la langue des serpents » et il fera l’objet d’un autre article. Avec ces lectures, il a été propulsé au rang de mes auteurs préférés !

  3. armoirealire dit :

    Merci pour cette découverte. C’est le genre de roman ovni qui pourrait me convenir pour le moment (j’ai une petite panne lecture, sortir des sentiers battus devraient me faire du bien !). J’ai la pression, il faut que je le lise rapidemment tant qu’il gèle encore 😀 Merci !

    1. Ahah ! Je suis sûre que le roman est tout aussi bien en été ahah ! J’espère qu’il parviendra à te sortir de ta panne de lecture, pour moi cette lecture fut une enchantement qui m’a réconcilié avec le merveilleux, alors même que ça n’en est pas réellement.

      1. armoirealire dit :

        Je te tiendrai au courant 😀

      2. Il me tarde de connaître ton avis oui !!!

  4. armoirealire dit :

    Commentaire n°2 : J’ai craqué. Il est commandé ! haha

    1. j’attends ton avis avec une grande impatience !

  5. Voilà un auteur que j’apprécie ! J’ai commenté deux de ses livres pour la littérature des pays de l’Est les années précédentes : l’homme qui savait la langue des serpents et Le papillon. Je les ai tous les deux aimés.

    1. Je n’ai pas encore lu Le Papillon, mais j’ai lu aussi l’homme qui savait la langue des serpents dans la foulée : un coup de coeur également !!!

  6. Marilyne dit :

    Aaaah, je n’ai encore jamais lu cet auteur, il était noté-souligné, il semble que je n’ai plus qu’à me précipiter !

    1. C’est vraiment un de mes indéniables coup de coeur ! À la fin du mois je présente un autre de ses livres ! Je n’ai pas résisté à enchaîner cette lecture avec un autre de ses ouvrages !

  7. PatiVore dit :

    Je ne m’en rappelle que vaguement, mais je me rappelle qu’il était surprenant 🙂

    1. Oui c’est le moins qu’on puisse dire !

  8. jostein59 dit :

    Je n’ai pas lu celui-ci mais je l’avais noté

    1. J’ai commencé par celui-ci pour entrer dans l’univers de l’auteur : une réussite !

  9. Lilly dit :

    J’ai profité du Mois de l’Europe de l’Est pour découvrir cet auteur moi aussi, mais avec son livre le plus connu. Ce livre semble dans la même lignée, mais j’attends novembre (ou plus vraisemblablement le prochain Mois de l’Europe de l’Est) pour le découvrir.

    1. L’homme qui parlait la langue des serpents ? Je l’ai lu dans la foulée de celui-ci ! J’ai beaucoup aimé les deux.

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